L’art oublié du peigne africain

Publié le 09 novembre 2025 — par Team_Kanfura 46 lectures 0 réactions

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Peigne afro… une mémoire sculptée dans le bois

Entre les doigts des femmes et les mains des sculpteurs, le peigne africain fut longtemps un compagnon silencieux de la beauté et du pouvoir. Façonné dans le bois, l’os ou l’ivoire, il démêlait les cheveux tout en ordonnant le monde. Chaque dent suivait la patience d’un geste ancien, chaque manche portait un visage, une prière, une mémoire. Aujourd’hui encore, il réapparaît dans nos mains comme un écho du passé : un objet modeste devenu emblème d’identité, d’art et de fierté retrouvée.

 

Là où le bois parle

Bien avant les miroirs modernes, le peigne africain portait déjà des visages et des histoires. En Nubie, en Égypte ancienne, au Bénin, au Ghana, au Nigéria ou au Congo, les sculpteurs taillaient dans le bois ou l’ivoire des peignes ornés de symboles. Les peuples Akan, Yoruba, Luba ou Fang en faisaient des objets d’apparat, mais aussi des messagers silencieux. Certains représentaient des visages humains — ceux des ancêtres, des reines ou des esprits protecteurs. D’autres dessinaient des animaux totems, des figures de fécondité ou des signes adinkra comme duafe, symbole de beauté, de propreté et d’amour de soi.

Chaque région avait son langage visuel. En Afrique de l’Ouest, offrir un peigne, c’était honorer une femme — reconnaître sa sagesse, sa fertilité, sa force. Dans d’autres cultures, on glissait un peigne dans la tombe d’une mère ou d’une épouse pour qu’elle continue à se coiffer dans l’autre monde. Ainsi, le bois devenait parole. Sous la main du sculpteur, il transmettait les valeurs de la lignée, la dignité du geste, la mémoire des femmes et des peuples.

 

⫷⫸ De l’atelier à la résistance

Lorsque la colonisation étendit son ombre, les peignes — comme tant d’autres objets du quotidien — furent arrachés à leur contexte vivant. Ce qui, dans les villages, relevait du sacré et de l’intime devint soudain une “curiosité” exotique. Des milliers de peignes, de masques, de bijoux furent collectés, envoyés en Europe, exposés dans les musées. Privés de leurs gestes, ils perdirent leur souffle : les mains qui les avaient sculptés n’avaient plus de nom, les femmes qui s’en servaient n’avaient plus de visage.

Mais la colonisation ne déplaça pas seulement les objets — elle déplaça les regards. Le corps noir, autrefois célébré pour sa créativité et sa parure, fut requalifié, jugé, discipliné. Les coiffures naturelles furent dites “sauvages”, les cheveux crépus “à dompter”. Le peigne de bois, symbole d’amour de soi, céda la place aux brosses métalliques et aux produits importés, qui abîmaient la fibre autant qu’ils fragilisaient l’estime. Les salons occidentaux remplacèrent les tressages familiaux ; le soin devint norme, et non plus rituel. Derrière chaque fibre lissée, c’est une part de mémoire qu’on tentait d’effacer.

Pourtant, dans les maisons, les gestes demeuraient. Les mères continuaient de tresser leurs filles à la lueur des lampes à pétrole. Les artisans, malgré le mépris, sculptaient encore leurs peignes pour les mariages, pour les initiées, pour la beauté du geste. Leur art survécut dans les marges — discret mais indestructible.

Et quand les indépendances s’annoncèrent, le peigne reparut comme un drapeau. Dans les années 1960–1970, il devint l’emblème des luttes panafricaines et du Black Power. Le célèbre peigne afro, orné d’un poing levé, réconcilia esthétique et résistance. Se coiffer naturellement redevint un acte politique ; brandir un peigne afro, une affirmation d’identité. De l’objet domestique à l’objet de résistance, le peigne retrouva sa voix — celle des peuples qui se redressaient, têtes hautes, racines visibles.

 

Beauté, pouvoir et identité

Chaque peigne raconte un rapport intime au corps et à la terre. Dans la cosmologie africaine, coiffer les cheveux, c’est ordonner l’énergie vitale. Les peignes sculptés à la main ne sont pas neutres : ils portent une intention, une énergie. Ils rappellent la lenteur des gestes, la discipline du soin, le respect du cheveu naturel. Démêler, tresser, lisser — ces gestes ne sont pas futiles : ils relient. Lorsque les cheveux sont peignés avec le bois, c’est la mémoire que l’on effleure. Les doigts tracent une continuité entre passé et présent. Et dans cette continuité se niche la beauté — une beauté sans vernis, faite de patience, de dignité et d’attention.

Aujourd’hui, des artisans redonnent souffle à cet héritage. En Côte d’Ivoire, au Nigéria, au Ghana, au Congo, de jeunes sculpteurs utilisent le bois local pour créer des peignes inspirés des modèles anciens. Dans la diaspora, des créatrices les transforment en bijoux, en œuvres d’art, en symboles de fierté. Des marques afro contemporaines les réinventent en bambou ou en métal recyclé, mêlant durabilité et enracinement. Le peigne n’est plus un simple outil : il est manifeste, dialogue entre tradition et modernité.

 

Collections - musée du quai Branly - Jacques Chirac

Héritages vivants

Dans les galeries africaines, les musées de design, les ateliers de coiffure et les marchés d’artisanat, le peigne africain reprend sa place. Il inspire des artistes, des photographes, des stylistes. On le retrouve sur les tissus bogolan, les fresques murales, les logos d’entreprises afro-descendantes. Certains créateurs, comme la sculptrice béninoise Laïla Adjovi ou le designer nigérian Adekunle Oduye, en ont fait un motif récurrent — métaphore du lien entre mémoire et futur. Parce qu’au fond, tresser, sculpter, façonner, c’est toujours la même chose : relier ce qui a été à ce qui vient.

 

 

« Nos peignes ne coiffent pas seulement les cheveux : ils démêlent les histoires et sculptent la mémoire des peuples. » — Kanfura

 

Pour aller plus loin

  • British Museum — African combs collection
  • Smithsonian National Museum of African Art — African combs exhibition archives
  • Musée Dapper — Catalogue “Beauté et pouvoir dans les arts d’Afrique”.
  • Journal of African Art — Étude sur la symbolique du peigne chez les Akan et Yoruba.
  • Kwame Anthony Appiah — In My Father’s House: Africa in the Philosophy of Culture.
  • Exposition “Combs and Identity” — Museum of Archaeology and Anthropology, Cambridge University.

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